Te regardant assise auprès de ta cousine,

Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil,

Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil,

Croissantes en beauté, l'une à l'autre voisine.

 

La chaste, sainte, belle et unique Angevine,

Vite comme un éclair sur moi jeta son oeil.

Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil,

D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne.

 

Tu t'entretenais seule au visage abaissé,

Pensive toute à toi, n'aimant rien que toi-même,

Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé.

 

Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime.

J'eus peur de ton silence et m'en ahai tout blërne,

Craignant que mon salut n'eût ton oeil offensé.

Pierre de Ronsard.

Recueil : Sonnets pour Hélène (1578).

 

Te regardant assise auprès de ta cousine

 

Photo : © Valérie Descouleurs Etdesmots

 

 

 

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée,
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.

Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ! ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puis qu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vôtre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté."

Pierre de Ronsard (1524, Vendômois)
Odes, I,17

 

Photo : © Valérie Descouleurs Etdesmots

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Moi aussi

Comme les peintres

J’ai mes modèles

 

Un jour

Et c’est déjà hier

Sur la plate-forme de l’autobus

Je regardais les femmes

Qui descendaient la rue d’Amsterdam

 

Soudain à travers la vitre du bus

J’en découvris une

Que je n’avais pas vue monter

 

Assise et seule elle semblait sourire

A l’instant même elle me plut énormément

Mais au même instant

Je m’aperçus que c’était la mienne

 

J’étais content.

 

(Jacques Prévert)

 

 

Je vous envoie un bouquet, que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies,
Qui ne les eut à ces vêpres cueillies,
Tombées à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain,
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps, seront toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.

Le temps s'en va, le temps s'en va ma Dame,
Las ! le temps non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame,

Et des amours, desquelles nous parlons
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle : 

Donc aimez-moi pendant que vous êtes belle.

 

Pierre de Ronsard - Sonnet à Marie

 

Photo : © Valérie Descouleurs Etdesmots

 

 

Dents de fleurs, coiffe de rosée,

mains d’herbe, toi ma douce nourrice,

prépare les draps de terre

et l’édredon sarclé de mousse.

Je vais dormir, ma nourrice, berce-moi.

Pose une lampe à mon chevet;

une constellation, celle qui te plaît;

elles sont toutes belles : baisse-la un peu.

Laisse-moi seule : écoute se rompre les bourgeons…

un pied céleste te berce de tout là-haut

et un oiseau esquisse quelques voltes

pour que tu puisses oublier… Merci. Ah, une dernière chose :

s’il venait à me téléphoner

dis-lui qu’il n’insiste pas et que je suis sortie…


 

Alfonsina Storni (1892-1938) – La poétesse argentine Alfonsina Storni a écrit ce poème-testament trois jours avant de se suicider le 25 octobre 1938 en se noyant dans la mer à Mar del Plata en Argentine.


Photo : © Valérie Descouleurs Etdesmots



« TREPLEV, effeuillant une fleur. – Elle m’aime – elle ne m’aime pas – elle m’aime – elle ne m’aime pas... (Il rit.) Tu vois bien. Ma mère ne m’aime pas. Parbleu ! Elle veut vivre, aimer, porter des chemisiers clairs, et mes vingt-cinq ans lui rappellent constamment qu’elle n’est plus jeune. En mon absence, elle n’a que trente-deux ans ; quand je suis là, elle en a quarante-trois, et c’est la raison de sa haine. Elle sait aussi que je ne supporte pas le théâtre qu’elle aime. Elle croit servir l’humanité et l’art sacré, mais à mes yeux, dans ce théâtre contemporain, il n’y a que routine et préjugés. Quand le rideau se lève, et qu’à la lumière artificielle, dans une pièce à trois murs, ces fameux talents, ces archiprêtres de l’art sacré nous montrent comment les gens mangent, boivent, aiment, portent le complet-veston; quand avec des phrases et des tableaux triviaux on essaie de fabriquer une morale de trois sous, accessible à tous, utile dans le ménage ; quand, grâce à mille variantes, on me sert, encore et encore, la même sauce triste, alors je fuis, je fuis comme Maupassant fuyait la tour Eiffel, dont la vulgarité lui broyait le crâne.


SORINE – On ne peut pas se passer de théâtre. »


“La mouette”- drame en quatre actes d'Anton TCHÉKHOV (1896)



Photo : © Valérie Descouleurs Etdesmots



« Qu'ils étaient doux ces jours de mon enfance 

Où toujours gai, sans soucis, sans chagrin, 

je coulai ma douce existence, 

Sans songer au lendemain. 

Que me servait que tant de connaissances 

A mon esprit vinssent donner l'essor,

On n'a pas besoin des sciences,

Lorsque l'on vit dans l'âge d'or !… »

 

Gérard de Nerval - L’enfance (extrait) (1802-1855)

 

 

 


 

Désirs d’harmonie.


As-tu jamais vu ?

Ensemble, elles sont toujours

par deux, les colombes à anneau-

même quant elles volent

comme les ondes d’arbre en arbre,

touches de couleur dans un jet

de lumière, comment savoir

laquelle suit l’autre ? Les as-tu jamais

entendues chanter de tout leur cœur

sous l’ombre des arbres ?

On ne saura jamais, je jure,

Ou commence un chant

Et où finit l’autre.

on croirait qu’elles ont

Un arrangement, un truc simple et bien

Qui marche : une chanson longue

A deux voix, plus crystalline

Dans la lumière de l’air ; elles appellent

Les voix perdues du soleil,

Et sans doute aussi, cette « étude magique du bonheur que

nul n’élude ».

 

 

Michael Harlow - Nouvelle-Zélande -La poésie de Michel Harlow est qualifiée de  "personnellement colorés sinon rarement confessionnels."


Photo : © Valérie Descouleurs Etdesmots



La rose du jardin que j'avais méprisée

A cause de son simple et modeste contour,

Sans se baigner d'azur, sans humer la rosée,

Dans le vase, captive, a vécu plus d'un jour,

 

Puis lasse, abandonnée à ses pâleurs fatales,

Ayant fini d'éclore et de s'épanouir,

Elle laissa tomber lentement ses pétales,

Indifférente au soin de vivre ou de mourir.


Jean Moréas (de son vrai nom : Yanni Pappadiamantopoulos (Athènes). Il exprime, sans se raconter lui-même, la souffrance et la mélancolie, le stoïcisme résigné aussi, que lui inspire le sentiment tout antique du destin fatal qui gouverne le monde et la vie.

« Lorsque l’obscur destin passe, sachons nous taire. »





La nue, imbibée d’eau, lentement me tourmente

  Passant des faux azurs

  Aux tons dorés et purs

Les feux brûlent les chants, le monde se lamente.

Pluies qui regardez dans le ciel éclatant,

  Grondez, la terre attend !


Le mont, le vert coteau, la prairie et la lande,

  Au vent qui gronde et meurt

  Prêtent de gaies clameurs ;

Le tronc du bénitier puissamment se rebande

Arbres qui vous voûtez au souffle du beau temps,

  Montez, la terre attend !

...

La terre est le berceau de tout ce qui respire,

  De tout ce qui grandit

  De tout ce qui verdit

Elle est le grand tombeau de l’homme et son empire.

Années dont les échos vont jusqu’au noir antan.

  Fuyez, la terre attend !

 

[ce poème a paru dans Anthologie de la poésie camerounaise, Le Flambeau, 1972]


Photo © Valérie Descouleurs Etdesmots, Côte Normande enveloppée d’un Vent d’ouest 


Je vous envoye un bouquet que ma main 

Vient de trier de ces fleurs épanies, 

Qui ne les eust à ce vespre cueillies, 

Cheutes à terre elles fussent demain.


Cela vous soit un exemple certain 

Que vos beautez, bien qu'elles soient fleuries, 

En peu de tems cherront toutes fletries, 

Et, comme fleurs, periront tout soudain.


Le tems s'en va, le tems s'en va, ma Dame, 

Las ! le tems non, mais nous nous en allons, 

Et tost serons estendus sous la lame :


Et des amours desquelles nous parlons, 

Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :

Pource aimez moy, cependant qu'estes belle.

 

Pierre de Ronsard (1524-1585)



Elle voulut aller sur les bords de la mer,

Et comme un vent bénin soufflait une embellie,

Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie,

Et nous voilà marchant par le chemin amer.


Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse,

Et dans ses cheveux blonds c'étaient des rayons d'or,

Si bien que nous suivions son pas plus calme encor

Que le déroulement des vagues, ô délice !


Des oiseaux blancs volaient alentour mollement

Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches. 

Parfois de grands varechs filaient en longues branches,

Nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement.


Elle se retourna, doucement inquiète

De ne nous croire pas pleinement rassurés,

Mais nous voyant joyeux d'être ses préférés,

Elle reprit sa route et portait haut la tête. 


Paul Verlaine, à bord de la « Comtesse-de-Flandres, 4 avril 1873 - Romances sans paroles.


Photo : ©Descouleurs Etdesmots



Depuis longtemps je t’aime et je voudrais, pour mon plaisir,

T’appeler mère, et t’offrir un chant sans apprêt,

Ô toi des villes de ma patrie

Que j’ai pu voir, la plus champêtre et la plus belle.


Comme l’oiseau de la forêt vole au-dessus des cimes,

S’arque au-dessus du fleuve, où il brille à tes pieds,

Dans sa force légère,

Le pont sonore de passants et de voitures.


Des dieux venu peut-être, un charme jadis m’arrêta

Sur ce pont, lorsque je passai :

Les lointains attirants

Semblaient aller vers les montagnes


Et le jeune homme, le fleuve, fuyait vers la plaine

Sombre et gai tel le cœur quand, sous le poids de sa beauté,

Pour en aimant périr,

Dans les flots du temps il s’abîme.


Tu lui avais donné des sources, au fugitif,

Des fraîches ombres, et les rivages le suivaient

Tous du regard, et dans les vagues

Tremblait leur gracieuse image.


Mais pesamment sur la vallée se suspendait l’énorme fort,

Augure du Destin, jusqu’en son fond

Par les orages déchiré;

Et pourtant, le soleil éternel répandait


Sa jouvence de lumière sur le colosse

Vieillissant, et alentour le lierre verdoyait,

Vivant; d’amicales forêts

Descendaient murmurantes au-delà du fort


Et des buissons en fleurs, jusqu’où, dans la vallée sereine,

Adossées aux collines ou ornant les rivages,

Tes ruelles heureuses

Dorment parmi les jardins odorants.


 

(Friedrich Hölderlin, traduction française de Philippe Jaccottet du poème « Heidelberg »)

 

La poésie de Hölderlin (poète et philosophe allemand période classîco-romàntique) fascine également le philosophe allemand Martin Heidegger (1889-1976) qui a écrit que « la Poésie est l'établissement de l'Étant par les moyens du monde »




 

Victor Hugo visite Heidelberg durant l'automne 1840. Dans «Lettres à un ami, lettre XVIII», il compare les ruines du château à un visage et profite de la clarté du crépuscule pour entrer. il écrit : 

 

 Je n'ai de ma vie rien vu de plus mélancolique que cette grande tête de mort posée sur ce grand néant qui s'appelle le Château des Palatins.

La ruine, toujours ouverte, est déserte à cette heure. L'idée m'a pris d'y entrer. Les deux géants de pierre qui gardent la Tour Carrée m'ont laissé passer.


Il ne venait du ciel qu'une clarté blême. Louis, rien n'est plus grand que ce qui est tombé. Cette ruine, éclairée de cette façon, vue à cette heure, avait une tristesse, une douceur et une majesté inexprimables. Je croyais sentir dans le frissonnement à peine distinct des arbres et des ronces je ne sais quoi de grave et de respectueux.


Je n'entendais aucun pas, aucune voix, aucun souffle. Il n'y avait dans la cour ni ombres, ni lumières; une sorte de demi-jour rêveur modelait tout, éclairait tout et voilait tout. L'enchevêtrement des brèches et des crevasses laissait arriver jusqu'aux recoins les plus obscurs de faibles rayons de lune; et dans les profondeurs noires, sous des voûtes et des corridors inaccessibles, je voyais des blancheurs se mouvoir lentement. C'était l'heure où les façades des vieux édifices abandonnés ne sont plus des façades, mais des visages.» 

 


Crédit photo : © Descouleurs Etdesmots


La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.

 

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

 

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

 

Ayant l'expansion des choses infinies,

Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,

Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

 

Quatrième poème des Fleurs du Mal

 

Charles Baudelaire (1857)

Oh ! combien de marins, combien de capitaines

Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,

Dans ce morne horizon se sont évanouis !

Combien ont disparu, dure et triste fortune !

Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,

Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !


Combien de patrons morts avec leurs équipages !

L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages

Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !

Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.

Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;

L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !


Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !

Vous roulez à travers les sombres étendues,

Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus. 

Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,

Sont morts en attendant tous les jours sur la grève

Ceux qui ne sont pas revenus !


On s'entretient de vous parfois dans les veillées.

Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,

Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts

Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,

Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,

Tandis que vous dormez dans les goémons verts !


On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?

Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -

Puis votre souvenir même est enseveli.

Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.

Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,

Sur le sombre océan jette le sombre oubli.


Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.

L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?

Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,

Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,

Parlent encor de vous en remuant la cendre

De leur foyer et de leur coeur !


Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,

Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre

Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,

Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,

Pas même la chanson naïve et monotone

Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !


Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?

O flots, que vous savez de lugubres histoires !

Flots profonds redoutés des mères à genoux !

Vous vous les racontez en montant les marées,

Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées

Que vous avez le soir quand vous venez vers nous !

 

Oceano nox Victor Hugo (1802-1885) Photo  ©Descouleurs Etdesmots


 

 

 

«Dieu qu’on l’aime cette vaste et langoureuse plaine, 

Fraîche, humide et suave, elle se courbe, subtil vassal.

Un vierge linceul ne suffirait à recouvrir sa peine,

clamer sa candeur et nettoyer nos mains sales.»

 

Texte : ©Valérie Descouleurs Etdesmots

 

Photo ©Thomas Barbey 

 

 

 

«Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l'horizon embrassant tout le cercle

II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

(...) 

Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,

Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,

Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.»

 

Les fleurs du mal, Charles Baudelaire. Spleen LXXVIII.

 

Photo : ©Descouleurs Etdesmots

parce que regarder ce roc présent depuis des millénaires sur cette même plage peut du bien nous faire...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La courbe de tes yeux fait le tour de mon coeur,

Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,
Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d’une couvée d’aurores
Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l’innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

 

 Paul Eluard, Capitale de la douleur, 1926

 

Si tu veux être heureux, ne cueille pas la rose

Qui te frôle au passage et qui s'offre à ta main; 

La fleur est déjà morte à peine est-elle éclose.

Même lorsque sa chair révèle un sang divin.

 

N'arrête pas l'oiseau qui traverse l'espace;

Ne dirige vers lui ni flèche, ni filet

Et contente tes yeux de son ombre qui passe

Sans les lever au ciel où son aile volait;

 

N'écoute pas la voix qui te dit : « Viens ». N'écoute

Ni le cri du torrent, ni l'appel du ruisseau;

Préfère au diamant le caillou de la route;

Hésite au carrefour et consulte l'écho.

 

Prends garde… Ne vêts pas ces couleurs éclatantes

Dont l'aspect fait grincer les dents de l'envieux; 

Le marbre du palais, moins que le lin des tentes

Rend les réveils légers et les sommeils heureux.

 

Aussi bien que les pleurs, le rire fait les rides.

Ne dis jamais : Encore, et dis plutôt : Assez…

Le Bonheur est un Dieu qui marche les mains vides

 

Et regarde la Vie avec des yeux baissés !

 

 

Henri de Régnier

 
 

Et un sourire

La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.

 

Paul ÉLUARD ( 1895-1952)

Recueil : "Le Phénix"

 

 

Certitude

 

Si je te parle c’est pour mieux t’entendre
Si je t’entends je suis sûr de comprendre

Si tu souris c’est pour mieux m’envahir
Si tu souris je vois le monde entier

Si je t’étreins c’est pour me continuer
Si nous vivons tout sera à plaisir

Si je te quitte nous nous souviendrons
Et nous quittant nous nous retrouverons.

Paul ÉLUARD

Recueil : "Le Phénix"

 

J'étais seul près des flots, par une nuit d'étoiles.
Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles.
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.
Et les bois, et les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure
Les flots des mers, les feux du ciel.
 

Extase (1ère strophe ) Victor Hugo (1802-1885)

Photo © Descouleurs Etdesmots 

 

La nature est inimitable ;
Et quand elle est en liberté,
Elle brille d'une clarté
Aussi douce que véritable.
C'est elle qui sur ces vallons,
Ces bois, ces prés et ces sillons
Signale sa puissance ;
C'est elle par qui leurs beautés,
Sans blesser l'innocence,
Rendent nos yeux comme enchantés.

Jean RACINE (1639-1699) Louange de Port-Royal (dernière strophe)

Photo © Elisabeth Antonia

 

 


Il y aura toujours un couple frémissant 

Pour qui ce matin-là sera l’aube première 

Il y aura toujours l’eau le vent la lumière 

Rien ne passe après tout si ce n’est le passant.

 

Louis Aragon (1897-1982), Les yeux et la mémoire*, Chant II «Que la vie en vaut la peine" (extrait)

 

 

*Les Yeux et la mémoire est un poème divisé en 15 chants, du 15 novembre 1953 au 26 juillet 1954.

 

Photo : ©  Descouleurs Etdesmots